Volume 2, Issue 4 - October 2007. Financial Services
Les enjeux environnementaux et sociaux du secteur bancaire sont souvent minimisés, réduits à leurs impacts directs, voire ignorés alors que l’effet de levier de ce secteur est très important au travers de ses différents métiers (financement de projet, gestion d’actifs, crédit…). Si les banques françaises présentent dans ce domaine un certain retard vis à vis des pionnières étrangères, il est néanmoins intéressant de constater des évolutions récentes, notamment en termes de produits proposés à leurs clients. Alors qu’aujourd’hui, les banques sont « rattrapées » par les problématiques du développement durable, elles sont emblématiques de la façon dont ces enjeux, y compris la biodiversité, gagnent tous les secteurs de l’économie.
Evolutions récentes On constate depuis 5 ans environ une prise de conscience croissante par les banques françaises de leurs impacts environnementaux. Si leur approche reste encore largement centrée sur la communication institutionnelle, voire la communication « produits », elle s’est traduite d’ores et déjà par des actions concrètes permettant des progrès certains, comme le soulignait les Amis de la Terre dans leur rapport de mars 2007 Banques françaises, banques fossiles? (1). De bonnes pratiques se développent avec, par exemple, la prise en compte de leurs impacts directs tels que les efforts de réduction des consommations de papier, d’eau et d’énergie ainsi que le développement du recyclage mais également l’approfondissement de leurs politiques de transparence et de reporting.
Les banques développent également peu à peu une approche intégrant leurs impacts environnementaux indirects au travers des « produits » proposés. Ainsi, au-delà des offres de produits « responsables » tels les fonds ISR (Investissement socialement responsable), l’épargne et la fidélisation solidaire, les banques françaises ont également développé des offres de prêts dits « verts », c’est-à-dire pouvant favoriser des comportements responsables en matière d’environnement. L’exemple de la Banque populaire d’Alsace qui a longtemps été la seule à proposer des produits intégrant les questions environnementales avec son Prevair et Codevair, est aujourd’hui suivi par plusieurs banques (les autres banques populaires, le Crédit Foncier, la Société Générale…). Il s’agit notamment des prêts bancaires aux particuliers pour l’habitat, second secteur émetteur de CO2 en France. Le site Eco-Prêts (2) qui a été lancé notamment par l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en mars dernier, est une initiative intéressante proposant au consommateur un comparateur des prêts bancaires dédiés aux économies d’énergie. Il permet de mettre en avant la disparité des offres et le caractère « insuffisant » de certaines propositions.
La signature et l’application des principes Equateur portant sur le financement de projet représentent également un bel exemple et espoir d’évolution du comportement des banques en faveur de l’environnement. En permettant un meilleur management, notamment des risques, cette démarche pourra montrer que l’intégration de critères de développement durable peut être créatrice de valeur à long terme. Il faut cependant espérer que la dernière version des principes (3) donne un nouveau souffle pour une plus stricte application de ceux-ci et une plus grande transparence.
Les efforts accomplis doivent donc être soulignés et encouragés mais aussi relativisés. Les banques n’ont pas encore pleinement intégré les enjeux environnementaux au cœur de leurs activités et produits. Il faut veiller à ce que certains produits « verts » ne soient pas de simples vitrines publicitaires déployées sans réelle conviction ou concrétisation. De plus, si les banques cotées, soumises aux obligations de reporting, et les banques traditionnellement engagées, ont entrepris certaines avancées, d’autres banques françaises restent encore totalement étrangères à toute démarche de prise en compte de l’environnement dans leurs activités, y compris concernant leurs impacts directs.
Une prise en compte de la biodiversité limitée Dans le cadre de leurs actions de protection de l’environnement ou de lutte contre la pollution, les banques peuvent contribuer à la préservation de la biodiversité. Le prêt eco-habitat du Crédit Coopératif favorise depuis 2004 les projets ayant recours aux matériaux écologiques et aux énergies renouvelables en proposant un taux plus attractif. En matière de financement de projet, la biodiversité est, par ailleurs, un élément intégré dans les principes Equateur.
Au-delà de ces initiatives plus générales, certaines banques françaises marquent un intérêt particulier à la problématique de la biodiversité. Ce phénomène est relativement récent. Ainsi, Dexia est une des premières banques privées présentes en France à afficher un intérêt pour cette thématique, allant jusqu’à présenter la préservation de la biodiversité comme un des deux principaux enjeux environnementaux de ces prochaines années avec le changement climatique 2006 (4).
La biodiversité n’est néanmoins encore que très rarement intégrée en tant que telle dans les activités des banques. Cet enjeu ne fait en général que l’objet de démarches de mécénat. Quelques banques participent ainsi à l’évolution des recherches dans le domaine, voire parfois à la sensibilisation du public et de leurs clients. Par exemple, le Crédit Agricole a participé à une opération « Graines de paysages », en partenariat avec diverses associations pour sensibiliser à la protection de l’environnement et faire connaître les avancées environnementales de l’agriculture et ses contributions à la protection de la biodiversité.
Plusieurs banques contribuent aussi aux programmes de recherche dans le domaine. HSBC finance au niveau mondial et à travers un partenariat de 8 millions USD sur cinq ans avec le Smithsonian Tropical Research Institute (STRI), une vaste étude sur le terrain portant sur les effets à long terme du changement climatique et son impact sur les forêts. Cette étude devrait permettre de fournir des données clés aux décisionnaires responsables de la politique du carbone au niveau mondial. Le Crédit Agricole a, quant à lui, financé des laboratoires de recherche sur la biodiversité à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Il a également soutenu, en 2006, un programme, en partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), visant à estimer l’état de la biodiversité dans des exploitations agricoles et à encourager des pratiques favorables à son enrichissement. Plus de 150 exploitations se sont impliquées dans ce projet, des plans de gestion pour améliorer la biodiversité vont être élaborés et le Crédit Agricole favorisera la diffusion de ces résultats. Cette sensibilisation des clients est assez spécifique, étant donné le statut de cette banque, historiquement liée au secteur agricole dont les impacts sur la biodiversité sont avérés.
La Caisse des dépôts et consignations (CDC) reste la seule à tenter d’élaborer une solution financière intégrant pleinement l’enjeu de biodiversité. S’assurant d’une gestion durable des actifs forestiers d’une de ses filiales, la Société Forestière, la CDC a également créé en juillet 2006 une Mission Biodiversité dont l’objectif est d’initier des actions innovantes de financement durable de la biodiversité par un système de compensation au travers d’un mécanisme de marché (5).
Travail de pression Les enjeux environnementaux s’imposent peu à peu aux banques par le biais de différents facteurs tels que les obligations de reporting (6) qui concernent les plus grandes banques françaises (mais pas formellement leurs filiales non cotées), les ONG qui effectuent un travail de pression depuis 2005 et les tensions concurrentielles. La volonté de maintenir une image positive vis-à-vis des consommateurs désormais plus attentifs à ces préoccupations contribue aussi à cette prise en compte. La biodiversité pourrait ainsi peut-être bénéficier de ces évolutions et profiter d’une meilleure prise en compte par les banques notamment à travers leurs produits. Le risque actuel réside probablement dans une focalisation des attentions politiques, associatives, économiques, et donc par corrélation des banques, sur les seules problématiques énergétiques et climatiques. En effet, si des effets bénéfiques indirects peuvent découler de cette prise de conscience de la nécessité de changer nos comportements vis à vis de l’environnement, il s’agit de s’assurer qu’épargner le climat, épargnera aussi la biodiversité mais également les hommes.
Par leur capacité de financement, en tant qu’investisseurs ou pourvoyeurs de crédit sur des projets industriels, d’infrastructures, immobiliers ou de développement, les banques ont un pouvoir relativement unique pour influencer les choix qui sont faits dans presque tous les secteurs, promouvoir des critères environnementaux, et encourager l’émergence d’activités plus «propres» et plus protectrices de la biodiversité. Il est aujourd’hui indispensable qu’elles poursuivent et approfondissent l’élan actuel qui les pousse à changer peu à peu leurs pratiques dans ce domaine.
Marlène Morin est consultante,
Grant Thornton ecodurable®, membre français de Grant Thornton International.
(1)
http://www.amisdelaterre.org/Banques-francaises-banques,3138.html (2)
http://www.ademe.fr/internet/ecoprets/liste.asp?prod=1,4,5 (3)
http://www.equator-principles.com/documents/Equator_Principles.pdf (4)
http://www.dexia.com/docs/2007/20070509_AG/sustainable_development/fr/rdd2006fr.pdf (5) voir Business.2010, 2 (2) (
http://www.cbd.int/doc/newsletters/news-biz-2007-05-low-en.pdf)
(6) Article 116 de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (
http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTexteDeJorf?numjo=ECOX0000021L)